La java en Annan

En Annan, on
En Annan, on va
Sous le Roi « Sun »,
Sous le Roi « Sun », Râ.
Trois Jours de chameau, trois jours de sable, suffocants
Pour arriver en vallée d’Annan.

Dans les vents éternels, on met le pied à terre.
L’air, toujours agité, nous couvre de poussière.
La couleur rouille imprègne tous nos vêtements.
Le vent nous rend muets par son long sifflement.

En Annan, on
En Annan, on va
Sous le Roi « Sun »,
Sous le Roi « Sun », Râ.
Ça sent le désert, ça sent la mer… c’est épuisant…
De séjourner en vallée d’Annan.

Dans le vieux Manuel de la Rose des Sables
On lit que si le vent, dans un jour mémorable,
S’arrêtait de souffler, les murs s’effondreraient,
Ne laissant aux enfant qu’un pays désolé.

En Annan, on
En Annan, on va
Sous le Roi « Sun »,
Sous le Roi « Sun », Râ.
La pluie de printemps annonce aux enfants de dix ans
Qu’il faut tirer un galet d’argent.

Sur la pierre est gravée sa vie, son avenir.
Son métier, sa compagne et enfants à nourrir.
Certains seront maudits, d’autres feront fortune.
Mais aucun ne proteste. Ils n’ont pas d’amertume.

En Annan, on
En Annan, on va
Sous le Roi « Sun »,
Sous le Roi « Sun », Râ.
Le guide sourit quand on lui dit: “C’est étonnant !
La destinée de galets d’Annan.”

Que le sort soit clément, ou qu’il soit monotone,
Sanglant, tumultueux, ici, nul ne s’étonne.
On peut subir le plus tragique des destins,
Si l’on se sait innocent
Des malheurs trouvés en chemin.
Si l’on se sait innocent
Des malheurs trouvés en …chemin !
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D’après Claude Nougaro (Le jazz et la java) et Hervé Le Tellier
Pcc Wana – 1er Octobre 2006
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Texte original: Annan,ou le destin de pierre.
(Cités de mémoire – Hervé Le Tellier – 2002 Berg International)

Retour d’Annan, au Bar de la Marine

[La scène ouvre sur une main écartant le rideau de perles de buis qui barre l’entrée du Bar de la Marine (le rideau est déjà noué en “Y”) et la caméra avance en se déportant sur la gauche, comme le ferait le regard du personnage (Hervé) qui entre en baissant la tête. On découvre deux personnages ventripotents assis, accoudés à une table (Panisse, vêtu comme un bourgeois et Escartefigue, qui porte un gilet et une casquette de marin). Un troisième personnage (ventru lui aussi, et portant un demi-tablier noué à la taille) s’approche de la table en tenant un plateau de boissons sur son bras droit. Devant le bar, dehors, sur le pavé, un éventaire de poissonnier, que l’on aperçoit depuis l’intérieur et, derrière le banc, Honorine, la poissonnière.]

César : [posant les verres devant les deux autres] Ouiiii ! Il est de retour… Hervé est revenu de son voyage en orient… Té ! Justement le voilà ! …. Oh ! Hervé !…
Hervé : Bonjour Papa.

[La caméra quitte le point de vue d’Hervé]

César : Alors… ? Tu m’as pas dit, ce matin… Dis…Tu nous as pas ramené une jolie mouquère dans tes bagages ?… Fais-nous la voir, un peu …

Panisse : Dis ! César !… C’est en orient qu’il est allé… Pas aux colonies… Les mouquères, c’est à Alger ou à Constantine…

Hervé : C’est vrai, Panisse. Je suis parti au fin fond de la Méditerranée… et …

César : Oui. Tu penses bien que je le sais !… Tu es parti, comme ça, sans prévenir, sur le « Ô ! Niçois ! ».… Et… depuis, je me faisais un sang d’encre… [aux autres] Il est fada, ce petit !

Hervé : Le « Onassis », Papa… Le « Onassis » !

Panisse : Ça doit être fatiguant, un si long voyage, qué ?… On doit avoir le temps de languir… C’est pas comme pour traverser le Vieux Port …

Escartefigue : Méééé ! Mon cher, quelle que soit la longueur du voyage, la mer, c’est toujours la mer… et un bateau, c’est toujours un bateau !

Panisse : Dis ! Tu vas pas encore nous faire pleurer en racontant que tu essuies des tempêtes tous les jours ! Non ?… Laisse-le un peu raconter, tu veux ?…

Hervé : Oui. [Il s’assied] C’est un long voyage… Et, quand on est descendu du bateau, il y avait encore trois journées à dos de chameau pour rejoindre la Vallée d’Annan… Avec un de ces vents… Je ne vous dis que ça… Des vents qui ne s’arrêtent jamais… On suffoquait terriblement !

César : [il rit] Et… c’est pour ça que tu es tout ébouriffé, depuis… Tu as pas eu le temps de te coiffer… [se tournant vers les autres] …Eh ! Il a pas eu le temps, peuchère ! Ou alors, tu as trop pris l’air de la mer, pendant le retour… Tu t’es trop penché par la fenêtre du bateau… [il se penche au-dessus de sa tête]… Tu sens le fielas à vingt mètres !

Hervé : [en réprimant un sourire] Non ! Ça, c’est ‘Norine ! En entrant, elle m’a frotté la tête, comme quand j’étais gosse…Ça fait que, maintenant je sens le poisson

César : Et… tu as pris de belles couleurs, hein ? Un joli teint cuivré, pas vrai ? [aux autres] Hein… qu’il a le teint cuivré ? Dis… C’est leur maquillage au henné qui a déteint, ou quoi ?…

Hervé : Oh ! Pâpâ ! T’arrêtes de me chambrer…un peu, dis ? J’ai la peau rouge parce que le vent de sable est si fin qu’il vous imprègne partout et on n’arrive pas à se débarrasser de cette poussière ! Jusque dans les oreilles, on en a !

Escartefigue : Drôle de vent ! Tu parles ! Du vent de sable… ! Moi qui suis habitué aux embruns et à la couche de sel qui te sèche la peau et les narines !

Panisse : Quoi ? Tu parles, tu parles…
Aaaahh ! Tu as dû en connaître, toi, des « embruns » ! [il rigole ] A peine si ton ferryboite, il bouge quand le garde côte sort à toute vitesse… Tu vas pas nous dire, aussi, que ça te donne le mal de mer !… « Tu parles ! » !… Tu peux parler, oui !

Hervé : Justement ! Là bas, on parle pas ! On peut pas parler dans la rue… à cause de ce vent qui siffle sans arrêt !

César : Ah ! On peux pas parler, là-bas ? … On devrait y envoyer Honorine ! Ça nous ferait un peu de tranquillité, ici ! [il regarde les autres] Quoi ? J’ai dit une bêtise ? …

Panisse : Beh… Si tu y allais aussi, nous serions deux fois plus tranquilles !….
[à Hervé] Mais, alors, comment font-ils pour se comprendre, s’ils ne peuvent pas parler ? … Ils font des gestes, comme nous, avec les mains ? Ou bien, ils ont des livres et des cahiers… ?

Hervé : Je ne sais pas… Le regard, peut-être… Ça dure depuis toujours… Dans la vallée d’Annan, ils ont un vieux livre de lois, écrit en nabatéen sur des peaux, qu’ils appellent la Rose des Sables. Il paraît qu’on y raconte que si le vent s’arrêtait, toutes les fortifications s’écrouleraient…

Escartefigue : En nabatéen… En abattez deux… En abattez tous, quoi ! [il s’esclaffe]

César : [les yeux au ciel] Mon Dieu, qu’il est bête ! [ à Escartefigue] Tu n’as pas honte, non ? De dire des bêtises ? … Le nabatéen, c’est… c’est… ? … ? [il se détourne vers les autres] Bon, pas d’importance… C’est une écriture ! Voilà ! Une écriture ! Comme moi, quand j’écris sur l’ardoise ce que tu as consommé… C’est pour noter des choses importantes, l’écriture ! Pour pas les oublier. Là bas, ils ont écrit un livre, pour se rappeler qu’il ne fallait pas arrêter le vent… Parce que le vent, c’est indispensable !
C’est comme la mer, ici ! Imagine un peu si on arrêtait la mer ! Hein ?
Il… Il faudrait y mettre des roues, à ton ferryboite ! Tu aurais l’air malin ! [en rigolant] Eh ! Eh ! «Malin d’eau douce !» [reprenant son sérieux] Là bas, c’est le vent ! C’est pareil ! [à Hervé] Eh beh ! Ici, le vent… avant de détruire Saint-Jean ou Saint-Nicolas ! En plus, il faudrait, d’abord, qu’il fasse tomber le pont transbordeur !

Escartefigue : Ouais ! Il est plus solide que la Tourifelle, on m’a dit !

César : La « Tourifelle », comme tu dis, ça n’a rien à voir ! Elle est fine, fine, comme la queue d’une anguille, la Tour Eiffel ! Et puis… Elle est là-bas, à Paris… mais à quoi elle sert, la Tour Eiffel ? Elle sert à rien ! Le pont transbordeur, lui, il « transborde » ! Il met moins de temps à traverser le port, que toi, avec ta barque à vapeur !

Hervé : Mais… Papa… Elle est bien plus haute, la Tour Eiffel…

César : Peut-être qu’elle est plus haute… Mais, quand tu y montes, tu vas nulle part ! Tu redescends et tu es toujours au même endroit ! Le pont transbordeur, lui, il te fait voyager ! Même en plein vent ! Il n’est pas encore né, celui qui détruira le pont transbordeur !
Et si il était déjà né, celui-là, je voudrais bien savoir où il habite !

Panisse : Mais… On ne saurait pas que c’est lui … Imbécile ! Ton avenir n’est pas écrit sur ton bulletin de naissance !

Hervé : Eh bien… Justement, en Annan, oui ! Dès l’age de dix ans, on demande aux enfants de tirer au sort leur avenir. Il est gravé sur une boule qu’il faut prendre au hasard, dans un sac de toile. Une boule d’argent…

César : Qu’est ce que tu racontes ? L’avenir gravé sur une boule ?

Hervé : Oui, ils lisent les signes gravés sur la boule et, comme ça, ils connaissent tout leur avenir ! Leur mariage, leur métier… Toute leur vie… Jusqu’à leur mort !

César : Mais c’est épouvantable, ça… connaître son avenir à l’avance ! Il y en a qui doivent râler un bon coup, si leur avenir ne leur plait pas, non ?

Hervé : Non… Ça leur fait pas peur… Ils sont habitués à cette façon de voir les choses… Qu’il soit beau et confortable, ou pénible et difficile, ils l’acceptent, leur avenir… Gentiment, sans se fâcher. C’est comme ça depuis toujours.

Escartefigue : Moi, j’ai connu quelqu’un qui lisait dans les boules de pétanque. Il regardait attentivement comment étaient les stries, à la surface, et il pouvait te dire, à l’avance, si tu allais tirer ou pointer, si tu allais faire un téton ou te néguer, si tu allais faire un carreau ou si tu allais manquer… Il était très fort !
Et… que ça te plaise ou non, c’est ce qui se passait !
Malheureusement, un jour, une boule, plombée de très haut, lui est tombée sur la tête et il en est mort !

Panisse : Ne sois pas ridicule, voyons… ! C’est une couillonnade, ton histoire ! Ce type, là… Ce “divinateur des boules de pétanque”… Il aurait dû prévoir ce qui allait se passer ! Tu nous fais rigoler, avec tes blagues !

Escartefigue : Beh… Il avait compris ce qui allait arriver… Mais il s’est dit, sans doute, que ce ne serait pas de sa propre faute, s’il allait mourir… Qu’est-ce qu’il pouvait y faire ? Le joueur, à qui il avait prédit que, sa boule, il allait la plomber de haut, avait répondu en colère… : « D’accord ! D’accord ! Je vais la plomber…Mais… Si je la plombe… et que je rate mon coup : tu es mort ! »

C’est ce qui s’est passé.

 

D’après Marcel Pagnol (*) et Hervé Le Tellier.
Pcc : Wana 27 septembre 2006

(*) Bon Maître, qui as donné ton nom (de ton vivant !) au lycée de Saint Loup, où j’ai fait tout mon secondaire… Qui n’as pas protesté quand Gaston, Maire de Marseille, t’a rendu hommage lors de l’inauguration, en 1962, en citant “Le Château de mon Père” et “La Gloire de Ma Mère”…

Bon Maître…: Puisse-tu accepter mes excuses pour n’avoir pas corrigé, en temps et heures, ton plagiat par anticipation !
J’étais trop jeune : lors de la création de la pièce, à Paris en 1929, ma mère avait… 8 jours !”

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Texte original: Annan,ou le destin de pierre.
(Cités de mémoire – Hervé Le Tellier – 2002 Berg International)

 

 

Le vieux est mort

 

Histoire de fadas

Préambule

Le « fada », dans le midi, c’est un type gentillet, pas très futé, un peu en dehors des normes, qui présente une ou deux bizarreries. Ce n’est pas un « fou », à proprement parler… Mais il a un petit grain dans la tête, quelque chose qui appelle l’attention du premier coup, quand on le voit ou dès qu’il s’exprime. Il mêne une vie parfaitement normale et, le plus souvent, il est parfaitement intégré à la communauté villageoise… Même si, dans l’imagerie commune, il vit un peu à l’écart On le respecte, tout autant qu’un autre, en tant que « fada »… On peut même dire qu’on a de la sympathie pour lui et qu’il n’a pas d’ennemi. -Qu’il soit un peu autistique, comme le personnage joué par Jacques Villeret dans MALLEVIL (lui, c’est un vrai « fada ») ou exagérément volubile, comme le type qui perd le fil de ses pensées dès qu’on l’interrompt, dans « La femme du boulanger » (celui-ci est « un peu fada »), il a en général un sens beaucoup plus prononcé du « bien » que la moyenne des gens et il ignore la notion de « mal », sauf, peut-être s’agissant des lézards,des sauterelles ou des grenouilles, auxquels il peut fort bien, quelquefois, faire subir des traitements cruels, à la manière d’un enfant, pour se distraire. L’univers de Pagnol et celui de Giono, aussi et même celui d’Yvan Audouard, sont peuplés de « fadas » de toutes sortes…
Une bonne histoire provençale ne peut se passer d’au moins un ou deux « fadas ».

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Le vieux est mort

– Le vieux, il est mort!
– Qui? Le vieux? Le vieux Mathieu de la bergerie des Martels?
– Oui! Mathieu! Il est mort, comme ça, sans prévenir!
– Comment… «sans prévenir»? Tu aurais voulu qu’il te prévienne à l’avance ?
– Non! Je veux dire qu’il avait l’air en bonne santé! Il toussait presque pas!
– Ah! Oui!… Remarque, il devait bien savoir qu’un jour ou l’autre… Il était vieux… Mais, de là, à annoncer le jour et l’heure… ?

– Té! Il est mort la nuit… Comme ça… à l’heure où le chien était en vadrouille… C’est pour ça qu’on ne l’a pas su tout de suite !
– ?…
– Son chien, la nuit, il sort pour faire le tour du vallon. Il part chercher aventure. Il va renifler toutes les femelles des alentours.
– Et alors… ?
– Eh Béh… d’habitude il revient sur le coup de 6 heures ou 6 heures et demie. Des fois, il rentre plus tard, parce qu’il s’endort dans des fourrés, tellement il est fatigué !
– ?…
– Eh oui, à courir derrière toutes ces chiennes… Sans compter qu’il y a les autres chiens du quartier… Des fois, ils se battent…
– Alors… Mais… Qu’est-ce que ça vient faire, ça, dans la mort du vieux ?
– Alors ? Alors, le chien a dû rentrer vers 6 heures et il devait être tellement crevé qu’il est allé sûrement directement à sa niche. Il avait dû renifler tant de chiennes qu’il n’a pas senti la mort du maître!
– Et alors… ?
– Alors ? Alors, le chien il n’a pas hurlé à la mort, té ! Il n’a pas hurlé pour donner l’alerte, imbécile ! Un chien quand ça sent la mort, ça hurle : « Hûûûûûûû … ! Hûûûûûûû… ! », qu’on l’entend depuis le fond du vallon !
– Et le chien, il a pas hurlé ? Comment on a su que le vieux était mort, alors ?
– Je l’ai su par Magali, l’employée de La Poste de Cujons, quand elle est venue acheter ses légumes.
– Ah! Oui, je vois! C’est le facteur qui l’a découvert mort, en venant porter le courrier…
– Non c’est pas le facteur qui l’a trouvé mort !
– Pourquoi tu me parles de la postière, alors ?
– Parce que… D’abord, le facteur il ne monte jamais jusqu’à la bergerie. Il laisse le courrier dans le creux du mûrier, en bas du chemin. Il aurait pas pu s’apercevoir que le Vieux était mort! Non, mais, ce matin justement, c’est le vieux qui devait venir à la poste pour faire la tournée du facteur…
– ?…
– Oui, quelquefois il fait ça… Ca lui fait quelques petites primes supplémentaires. Aujourd’hui, le facteur avait pris un congé pour aller au marché, à Aubagne. Il voulait acheter des appelants pour ses cages. Ce couillon, il en a tué trois, dimanche, en se mettant au poste pour les grives !
– Ah !… Et alors, ce matin, le vieux Mathieu, il n’est pas venu chercher la tournée, c’est ça ? Et la postière a donné l’alerte quand elle ne l’a pas vu venir. Je comprends.
– Non! Tu comprends pas! C’est pas la postière qui s’en est rendue compte. C’est Honoré, au café.
– Ah ? Bon ?
– Oui! Le garagiste, le nouveau… René… Il est venu boire un café et acheter des timbres et du tabac.
– Quel rapport ?
– Honoré lui a dit que, justement, il n’avait plus de timbres et que le vieux Mathieu lui avait dit, hier, qu’il viendrait en apporter de La Poste, avec son vélo, pendant la tournée. Mais René, le garagiste, lui a répondu que le vélo du vieux, il était toujours chez lui, ce matin. Le vieux devait venir le récupérer de bonne heure, mais il n’était pas encore venu. Il risquait pas d’arriver avec la tournée de courrier!
– Pourquoi ? Le vélo avait besoin d’une réparation ?
– Oui. Le vieux avait esquinté le pignon lundi dernier, en passant dans des brûlés où il cherchait des asperges sauvages… Les brûlés de derrière le bois du Grignet… A un moment, il a roulé sur une pierre qui l’a déséquilibré et il est tombé du vélo. Il s’est mâchuré tout le côté droit en tombant dans la cendre des broussailles et, en plus, un caillou s’est coincé dans le pignon du vélo.
– Ah !!!… Alors, je comprends!
– Quoi ? Tu comprends ?… Tu comprends quoi ?
– Que le vieux Mathieu il soit mort.
– Ah ? Et pourquoi ?
– Parce que, hier soir, le vieux il a dû se faire une soupe d’asperges.
– Et… ?
– Et beh… Les asperges, elles étaient contaminées avec de la « mort aux rats »…
– Quoi… de la «mort aux rats» ? Tu veux dire de l’asprichine ?
– «Strychnine» ! On dit : de la «Strychnine» !
– Et pourquoi de la «strychnine» ? Qu’est ce que tu en sais ?
– Parce que, samedi dernier, avec Lucien, le garde champêtre, on a arrosé les brûlés du Grignet avec de la mort aux rats, pour éliminer les campagnols… On en a mis un paquet, eh !
– Vous avez mis de la mort aux rats dans le bois du Grignet ? C’est criminel, ça! Ca peut être mortel, la spricrine…
– «Strychnine»
– Oui… «Strychnine»… C’est mortel, ça !
– C’est mortel… Oui, pour les rats, en principe… et les campagnols… Parce que, les campagnols ils vont volontiers dans les brûlés… parce qu’ils y trouvent plein de graines tombées par terre…
– Les campagnols, oui… ! Mais… pour les chiens aussi, ça peut les tuer !
– Pourquoi, le chien du vieux il est mort aussi ?
– Non ! ( mais qu’est ce qu’il me dit, celui-là ?…) Non! Le chien non! Mais le Vieux… Le Vieux… ! Il est mort, le Vieux !
– Hé! Ne fais pas semblant d’être surpris,… c’est toi qui viens de me le dire.
– Oui ! Mais… Mais… je croyais que c’était de mort naturelle, moi… ! Pas l’aspirine !
– « Strychnine » ! Je t’ai dit : «strychnine» !
– Mais… Boun Dieou ! Qu’est ce qu’on va faire, maintenant ? Qu’est ce qu’on va faire ?
– A mon avis, il faut pas l’enterrer tout de suite ! Ca peut être dangereux… A cause de la strychnine qu’il a sur lui.
– Quoi … «qu’il a sur lui»? Tu m’as dit qu’il l’avait avalée avec la soupe!
– Oui, mais s’il est tombé, dans les cendres, dans les brûlés,… il en a plein sur ses habits, maintenant… C’est dangereux ! Il faut les laver !
– Mais, d’habitude, le vieux c’est lui qui apporte ses habits au village… Il les porte à «’Mance » pour les laver.
– Qui… «‘Mance »… ?
– Hermance, la blanchisseuse… Elle ira jamais la haut à la bergerie ! C’est trop loin ! Et y a pas assez d’eau, la haut, pour la lessive !
– Y a qu’a aller les chercher et les lui apporter… Dans un drap bien fermé !… Parce que, avec la strychnine, on ne sait jamais…
– Non… Eh, béh… on va le mettre en terre avec ses habits et… il n’y aura plus rien !
– Ah non ! Moi j’ai lu sur le paquet de poudre… Avec la strychnine… ils disent qu’il faut absolument se laver, après, tout rincer à grande eau et mettre tous ses habits à la lessive… avec du bicarbonate !

– Mais, le Vieux… Mathieu… Il est juste tombé par terre… Il a dû se secouer, après… et… Et…
– Oui, mais… tu sais ça s’en va pas comme ça… D’ailleurs, té ! Suppose qu’il aurait mangé du pain ou du saucisson, depuis…
– Et alors… ?
– Beh… tu sais, il coupe un bout de saucisse, comme ça, avec le couteau… il le porte à la bouche, là, comme ça… entre le pouce et la lame… et après, il essuie la lame du couteau sur son pantalon, avant de le fermer… Depuis lundi, il a dû en avaler de la strychnine, comme ça !
– D’abord, Môsieur, si tu le connaissais, le Vieux, tu saurais qu’il essuie TOUJOURS, tu m’entends, TOUJOURS! son couteau sur la manche gauche de sa veste! Pas sur son pantalon !
– Et qu’est-ce que ça change ?
– Eh bien, Môsieur, quand il est tombé de vélo, il est tombé sur le côté droit, du côté du pignon du vélo !
– … ?
– Il n’a pas sali la manche gauche se sa veste mais le côté droit de ses habits !
– Ah … ?
– D’ailleurs, s’il s’était vraiment contaminé les habits en tombant, le chien serait mort depuis, en le léchant.
– Mais tu m’as dit qu’il n’était pas mort… juste endormi…
– Oui ! Justement ! Ca prouve que s’il a léché son maître, il ne s’est pas contaminé, depuis lundi dernier ! Et puis, les asperges… ! Hein ? Les asperges… ! S’il a fait une soupe avec, le Vieux, elles étaient rincées… les asperges ! Il a dû les laver avant de les faire cuire !
– Oui. Alors ?
– Alors ?… Alors… ? Alors… il est pas mort de la speakerine, le Vieux !…
– « Strychnine »
– Oui bon ! Il n’a pas pu mourir de la speakerine ! Les asperges, dans la soupe, elles étaient lavées, rincées, lessivées, les asperges !
– Alors… Alors il est mort de mort naturelle ?… Alors… ?
– Vé ! Bien sûr ! Il est mort de mort naturelle… Je ne vois que cette explication !
– Ouf ! J’ai eu drôlement peur ! Ca me rassure !
– Oui, béh… je me demande pourquoi on discute, depuis un moment tous les deux ! Si c’est pour en arriver là ! Et en plus tu me fais perdre mon temps! Tu vois, j’ai pas fini d’arranger mon étalage ! Et j’ai toutes mes pommes à arranger… Et les champignons, aussi ! Avec tes histoires de campagnols…
– C’est que… J’ai cru un moment que c’était à cause de…
– Bon ! Allez… ! Té ! Le vieux il m’en avait apporté un peu de ses asperges, lundi soir, pendant l’apéro chez Honoré. Té ! Je te les donne… Je pourrai jamais les vendre!
– Mais elles sont… ?
– Rassure toi ! Y a qu’à les laver avant de les manger !

22 novembre 2005

Amst’Annan, ou le destin par Jacques

Réécriture pour un hommage (double)… Modeste_man !
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L’oasis d’Amst’Annan,
On l’atteint par fortune :
Trois jours de caravane,
Sur une mer de dunes.

L’oasis d’Amst’Annan,
Est balayée sans cesse,
Par la moiteur épaisse
Des vents tourbillonnants.

Et ça sent la marée…
Et brûle la lumière
Nos faces crevassées
Par ce vent de poussière.

Les vents, sur Amst’Annan,
Viennent s’écarteler
Ne laissant aux amants
Que leurs yeux pour prier.

Dans le bled d’Amst’Annan
Une ancienne écriture
Conte que, sans le vent,
S’effondreraient les murs.

Les enfants d’Amst’Annan,
Lors des premières pluies
Tirent du fond d’un puits
Une pierre d’argent.

Ils y lisent gravé,
Leur devenir d’adulte.
Ils sauront leur métier
Leur amour et leur chute.

Pour certains, le malheur.
Pour d’autres, la fortune.
L’un croquera la Lune
L’autre aura toujours peur.

On vit, en Amst’Annan
On n’a pas d’amertume,
Que le sort qui consume
Soit terrible ou plaisant.

On meurt, en Amst’Annan,
Avec l’âme apaisée.
On se sait innocent
De son cœur déchiré.

Dans le bled d’Amst’Annan…
Dans le bled d’Amst’Annan…

Pcc Wana
D’après Jacques Brel et Hervé le Tellier
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Texte original: Annan,ou le destin de pierre.
(Cités de mémoire – Hervé Le Tellier – 2002 Berg International)

Les décimales du nombre e

Un défi avait été lancé par la revue “Quadrature”: rédiger un texte mnémotechnique permettant de retenir les premières décimales du nombre e , base des logaritmes népériens.

e=2,
718 281 828 459 045 235 360 287 471 352
662 497 757 247 093 699 959 574 966 967 62(8)
L’ultime décimale a été arrondie par excès.
C’est un huit (un 7, suivi de 724…)
Le mot “NUL” est mis en lieu et place du zéro.

2,71828 1828459 04523536 028747135 26624977
57247 093699 959574 9669 67628

AH ! RIGOLER D’OBSERVER EN GRANDEUR
L’ETONNANT ET IMPOSANT GROS TARIN ADMIRABLE !
NUL TARÉ COMME CE SOT PETIT FAT EMPESÉ,
NUL SI EMPOUDRÉ VICOMTE VENU GIGOTER A MES PIEDS,
NE POURRA JAMAIS SE RIRE, MISERABLE INSECTE RAMPANT,
PETIT AVORTON, DE TELS NASEAUX !
NUL IMPOSTEUR FÛT ICELUI MILITAIRE, TRUCULENT,
ADMIRATIF, VOIRE PRÉVENANT, ASSEZ LYRIQUE MÊME,
SPIRITUEL, PEDANT, TENDRE, PARODIQUE,
ONQUES MOQUERA CYRANO DE BERGERAC !

24 novembre 2005

Onsonne !

Un opain eut l’idée, rès onne, / Un copain eut l’idée, très bonne,
De upprimer oute onsonne / De supprimer toute consonne
Au ébut des ots qu’on écrit / Au début des mots qu’on écrit
(oms, erbes, adverbes aussi / (noms, verbes, adverbes aussi
et ous les adjectif, de ême). / et tous les adjectif, de même).
Par un igilant atagème, / Par un vigilant stratagème,
On ait en orte qu’en ubstance,/ On fait en sorte qu’en substance,
Ous les ots onservent un ens. / Tous les mots conservent un sens.

 

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Des ailleurs ébauchés.

Après leur émission, sans âme, les acteurs ont évoqué ces ailleurs acides et aigres, énonçant leurs âneries comme une ébauche pour ouvrir les ébats des ermites élus et des arabes agiles, évaluer les épis pour les oisons -avec tant de ces oisons à égorger!-, les olives et les outres pour les ours sans effroi.
Avoir une telle acuité dans ces ailleurs !
Si actuels, qui égayent pour aider et unir, dans un acte égal, ces ânes usés unis sous les averses, en action devant les âtres et ces oisons sous les épis ! Qui ornent les étables avec un osier enté en arrière, pour que, dans ces auges ornées par les anges, ils oignent les ablettes avec leurs eaux.
Car ouïr en ut à nos aises, avec des ourses avides et avinées, c’est acter sur les agissements des anges.
Il y a de quoi éditer !
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Traduction, ci-dessous.
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Des bailleurs débauchés

Après leur démission, sans drame, les facteurs ont révoqué ces bailleurs placides et maigres, dénonçant leurs flâneries comme une débauche pour couvrir les débats des termites velus et des carabes fragiles, dévaluer les crépis pour les cloisons -avec tant de ces poisons à dégorger!- , les solives et les poutres pour les tours sans beffroi.
Savoir une telle vacuité dans ces railleurs !
Si factuels, qui bégayent pour plaider et punir, dans un pacte légal, ces crânes rusés brunis sous les traverses, en faction devant les plâtres et ces toisons sous les képis ! Qui bornent les retables avec un rosier denté en barrière, pour que, dans ces bauges bornées par les fanges, ils joignent les tablettes avec leurs sceaux.
Car jouir en rut à nos baises, avec des bourses gravides et ravinées, c’est jacter sur les vagissements des langes.
Il y a de quoi méditer !
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Wana

Enoncé

Réécriture sous la forme d’un problème de maths/physique

Coefficient de Dureté des évènements probabilistes, dans les galets argentiques du barycentre Annan
Soit un espace ouvert, parcouru par des flux gazeux continus et permanents.
On amène, jusqu’au barycentre Annan, un mobile désigné par « Nous ».
On notera le temps de parcours depuis l’origine inconnue du déplacement, mais sans faire d’hypothèse sur la vitesse du convoyeur à forme gaussienne.

Dans les flux gazeux, on placera autant de filtres fibreux que nécessaire, pour retenir les particules en suspension, sans pour autant arrêter les agents olfactifs (que l’on caractérisera -ceux produits, en particulier, par la loi de Poisson-) qui les accompagnent.
On mesurera la puissance sonore engendrée par ces flux gazeux et on la rapportera à celle des sources sonores environnantes à gabarit psophométrique.
Pour déterminer la probabilité de conservation de ces flux gazeux, on se reportera à l’équation de l’effet d’effondrement, décrite dans le guide d’orientation sur les silicates pulvérulents, appliquée au point Annan.

Après aspersion modérée d’eau du point Annan, on choisira un facteur probabiliste (d’age légèrement inférieur à dix) pour réaliser la polarisation évènementielle par extraction aléatoire d’un galet pourvu de son revêtement argentique, parmi un ensemble dénombrable, inclus dans un réseau filaire entrelacé.
De la signature obtenue par cette transformation aléa ==> matière, on déduira les caractéristiques principales de dureté des familles d’évènements probabilistes en projection dans le plan imaginaire.

Chaque vecteur évènementiel ainsi mis en jeu, sera caractérisé par le résultat, invariable, du tirage associé.
En cas de doute, consulter l’appariteur.
En conclusion, on déterminera avec précision la relation univoque qui existe entre le vecteur évènementiel et la convolution opérée sur les résultats du tirage.
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Texte original: Annan, ou le destin de pierre.
(Cités de mémoire – Hervé Le Tellier – 2002 Berg International)

Anduze, ou le cadran de glaise

(Imitation par transposition d’éléments)

Il nous a fallu trois heures… (mais, crevantes, hein !), à dos de bidet, pour arriver dans la vallée du Gardon, pays des Inondations Récidivantes. L’eau toujours agitée, trimbale des lacis de branchages et de lambeaux d’écorce de pin, et emporte une boue jaunâtre à peine diluée, qui finit par colorer chaque rocher.
Le bruit chuintant de son remous perpétuel monte jusqu’à la route, au point qu’il faut crier pour qu’on vous apporte un café, à la terrasse des bistrots qui surplombent le torrent.
Le Guide de la Baignade en Eaux Troubles du Pays Cévenol explique qu’il faudrait des années pour ramasser les tessons de cannettes de bière qui gisent au fond de la rivière, si elle venait à s’assécher.
En Anduze, au jour des premières canicules d’été, le vieux qui a passé les quatre-vingt dix ans doit promener ses doigts sur un cadran solaire, grossièrement façonné dans la glaise cuite et scellé sur la margelle de la Fontaine des Potiers.
Quand son index s’arrête sur l’une des divisions du cadran, on en déduit le mois probable de la prochaine crue qui atteindra, sur la berge, les boutiques de souvenirs (cigales en terre cuite, pots à eau ornés de trois olives, spatules et salières en bois d’olivier, assiettes décorées et marquées du mot «ANDUZE», cintré sous le contour de l’église St Etienne,…)
Les habitants d’Anduze s’accommodent de ces prédictions, sans se soucier plus que cela de leur avenir…
Lorsque j’en ai parlé au curé, il a levé les yeux au ciel en joignant ses mains…
D’ailleurs, selon cette tradition, rien, dans la position des doigts du vieillard sur le cadran, n’indique l’année de la prochaine crue centennale.
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Texte original: Annan, ou le destin de pierre
(Cités de mémoire – Hervé Le Tellier – 2002 Berg International)

Les verbalismes dans le musc

Réécriture par la règle “S+7”

Les verbalismes à soixantaine mutent dans le musc
Ils ne manucurent pas ces muridés blessés et mourants
Portés par un sudiste qui ne fane pas d’aléa
Les verbalismes à soixantaine qui sont patriotards et draineurs

Mâtinent les féviers avec un brûlis mouvementé
Ça les enfante mais au dessus de leurs épendymes
Ils tolèrent un cocuage rosé aux deux polices
A filicinée de béarnais, puis doutent rationnés

En le dévitalisant on tire une filicinée de soixantaine
Dont on fait pour un bénin dandinement un robinier
Bénin emphatiquement qu’il postpose avec almandin

Quand le dandinement muguette on entortille la soixantaine
Avec lui et on plébiscite, sur son tome en oculaire,
Un musc où sans finette les verbalismes à soixantaine mutent
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Texte original : Les vers à soie
Jacques Roubaud – “Les animaux de tout le monde” (Seghers, 1990)

Les vers à “Dada”

Version “Dada”

à à à à
alcool allure au aux
avec avec avec bave
belle belle blanches bruit
ça ces cocon dame
dame dans de de
de dessus deux dévidant
dont dorment douillets
également elle elle en
en endort enterre épaules
et et et fait
fait feuilles fil fil
fin ils ils la
la le le les
les les les les
leurs mais mangent mastiquent
meurt molles mouillé mûres
mûrier mûrier murmurent murmurent
ne ne octobre on
on on on où
pas pas patients plante
pleines pôles porte pour
puis quand qu’ qui
qui rassurés robe
rond sa sans soie
soie soie soie soie
sont sucre sur tire
tissent tombe un un
un un un une
une vers vers vers
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Texte original : Les vers à soie
Jacques Roubaud – “Les animaux de tout le monde” (Seghers, 1990)

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