ou
Les accommodements domestiques
Juillet 2006
—————-
Caractères:
ADRIEN, le bourgeois aisé
BÉATRICE, son épouse
CÉLESTIN, leur fils « post adolescent»
DÉLIANTHE, jeune amie de BÉATRICE,
amante d’ADRIEN,
aimée de CÉLESTIN
ETHER, esprit immatériel
qui s’adresse aux personnages,
depuis les coulisses,
d’une voix grave et posée
***********************************
ACTE I
BÉATRICE et ETHER
Chambre de BÉATRICE; elle est dans son lit ;
il fait encore nuit, mais le jour pointe
ETHER Réveille-toi, Béa ! C’est Ether qui t’appelle !
BÉA Qui ?.. Ether ?… Où ?…Comment ?… (Cette voix ? D’où vient-elle ?…
Et cette ombre, dehors…)
ETHER Oui ! Ether ! … Je suis là !
BÉA Mais où ? Comment te voir ? Dans tout ce tra-la-la
De la fête d’hier, j’ai perdu mes lunettes…
(Sans elles sur le nez, j’ai l’air d’un gypaète
Qui manquerait sa proie quand il l’a sous le bec !)
Ô! Toi! Voix du plafond ! T’es fille ou bien t’es « mec » ?
ETHER Calme-toi, ma Béa! Je suis dans l’atmosphère…
BÉA (Atmosphère ? Atmosphère ? En voilà une affaire !
Est-ce un coup d’Adrien qui voudrait m’annoncer
Que d’air il a besoin ?..) C’est un « truc» ! Qu’est-ce que c’est ?
ETHER Non ! Du tout ! Aucun truc ! Je viens pour une histoire
Dont on n’a pas fini de jaser, au Manoir!
Sais-tu qu’hier au soir, à la fin de la fête,
J’ai surpris Délianthe, au fond de la courette
Qui s’approchait sans bruit d’Adrien, dans le noir ?
Ils se cachaient si bien qu’on n’aurait pu les voir…
Et murmuraient si bas que, quiconque qui passe,
A part moi, n’aurait pu ouïr leur messe basse…
BÉA Et qu’ont-ils dit ? …
ETHER Attends !…Ce n’est que le début…
Mais laisse-moi parler et ne m’interromps plus !
BÉA Alors… Parle!
ETHER Voilà! Cependant que tes hôtes
Accoudés au buffet, se saoulaient de parlottes,
Se gavaient de pâté, comme des morts de faim,
Buvaient comme des trous… j’aperçois Adrien
Sortir par le côté, en poussant la portière
Du petit salon bleu, puis, filer par derrière
Et s’engager sans bruit dans l’escalier du fond,
En faisant maintes fois un tour sur ses talons,
Pour s’assurer que nul n’observait son manège…
BÉA Alors ?…
ETHER Alors, je vois que, repoussant son siège,
Délianthe se lève et s’éclipse aussitôt
Par le même chemin… pour rejoindre bientôt
Adrien qui l’attend au fond de la courette.
BÉA Et ?..
ETHER Voici qu’ils s’approchent pour un tête-à-tête…
Il lui donne un baiser, juste là, dans le cou…
Elle répond en frottant son nez sur sa joue…
Puis lui fait sur la bouche une longue léchouille…
Et d’un geste brutal… le saisit par… l’oreille !
BÉA Aaaahhh ! Ne m’en dis pas plus ! En voilà des ragots !
Ainsi, tu viens chez moi me tirer du pageot,
Tu m’agresses, tu m’importunes, tu badines…
Tu me fais lanterner, tu atermoies, lambine …
Tout ça pour m’annoncer que ma meilleure amie
Met le grappin sur Adrien, sur mon mari !… ?
Je le savais déjà !… (Je l’ignorais, pauv’ pomme !)
Déjà, j’avais surpris la belle et le bonhomme
Se faisant des œillades au cours du déjeuner,
Pendant la promenade ou pendant le dîner !
(alors que Célestin, qui n’a d’yeux que pour elle
Reste aveugle au complot ! Il la croit jouvencelle !
Lui, qui ne s’avisa jamais de leur jeu laid…
Alors qu’elle, pour lui, n’a qu’un regard gelé …)
ETHER Je ne t’ai pas tout dit ! … Après…
BÉA Quelle importance ?!!…
J’ai tout compris ! Tout vu, Ether ! Et si tu penses
M’avoir surprise, en me réveillant dans le noir… !!!
Allez ! Tu peux partir! Je ne veux plus te voir !
ETHER Je reviendrai, Béa ! Ce soir au crépuscule
A l’heure où les hiboux, dans les arbres hululent.
***********************************
ACTE II
BÉATRICE, CÉLESTIN, DÉLIANTHE.
Sur la terrasse, surplombant une pièce d’eau, le soir tombe.
BÉA L’air délétère est lourd, DELl, ma délurée !
Et sans ce jet d’eau, là, déjà je délirais…
DÉLI Béa, ma belle amie, tu me la bailles bonne !
Moi-même, je m’abîmerais dans la Garonne,
Si je, ne devais point, dans un très court moment,
Accomplir le geste final de mon serment…
BÉA De quel serment, dis-tu? Tu sais, sans mes lunettes…
J’entends mal ce qu’on dit… ! Quel serment à sornettes
Vas-tu encor conter ?…
DÉLI Ce n’est rien d’insensé…
J’ai promis à ton fils, Célestin, de danser
Lorsque, le soir tombé, sous l’effet de la lune,
Le voile des jupons, léger comme la plume,
Prend des reflets dorés… J’adore cet enfant…
On ne peut rien lui refuser ! … Mais je l’entends
Qui s’approche déjà. Je vais le faire attendre
Et me cacher dans ce fourré, pour le surprendre…
Ne lui dis rien!
Elle disparaît
BÉA Mon cœur ! Mon Célestin ! Mon prince !
Viens t’asseoir près de moi…
(Plus bas) Je sais que tu en pinces
Pour la belle Déli.. Et depuis ce matin…
J’ai compris qu’en secret… elle te le rend bien !
CÉLEST Mère! A vous écouter j’ai le cœur qui me presse
Et les mots que j’entends me font comme caresse !
Moi qui me lamentais d’amour sans lendemain,
Moi qui désespérais d’un jour prendre sa main…
Me voilà espérant en ma Délianthine… !
Bonheur! Je vais lui composer une térine…
BÉA Terrine ? Non ! Assez! Avec tant de pâté
Englouti, hier soir, je risque d’empâter !
CÉLEST Non, Mère ! La térine est, poétiquement,
Un art que j’ai appris de l’Oulipo, Maman !
Une jolie figure… Ecoute ces tercets
Que j’extrais, humblement, de ma « bouille-abaissée »…
J’ai le cœur ramolli, j’ai un coeur de favouille.
Mes tripes sont nouées, mes tripes sont des nouilles.
Et mon humeur, c’est de la rouille.
Pour que mon cœur résiste et jamais il ne rouille,
Mes pinces de coiffeur, mes pinces de favouille
S’enroulent tout doux, dans tes nouilles.
Et ce bout de quenine, à l’aspect de que-nouille
Qui te pique le doigt, qui te pique à l’o-reille
T’endormira! …et moi, je veille !
Voilà ce qu’à peu près, Maman, on a appris,
Avec ces gens de goût, avec ces gens d’esprit.
Mais je dois, je l’avoue, rassembler mon courage
Pour dire à Délianthe, au risque qu’elle enrage,
Ce neuvain débutant. … Mais… J’entends que tout près,
Quelque chose a bougé, derrière ce fourré…
Délianthe s’approche en chantant et dansant sous la lune…
DÉLI « Tout’ ma vie, j’ai rêvé d’être une hôtess’ de l’air
« Tout’ ma vie j’ai rêvé d’avoir des talons hauts… »
BÉA Que nous chantes-tu là ? Qu’est-ce encor, ce mystère ? …
DÉLI Béa !… C’est la chanson de Dutronc… !
CÉLEST QUE C’EST BEAU !!!
Mais je vais vous conter ces récréa-SSSi-ons
Que nous suivions, par tant de motiva-SSSi-on…
——————————————-
Animo-trice-te Anim-auteur Beau Arts
Fort Thé
Ordine-auteur Fort Bras Bogart – Garbo
Beau roux
Ceci petit Cela mini Tout … court !
Cà ? Long !!!
Baobab Entonné
Ben-à-bout ? Agacé ?
Au ma-jong et … c’est chatié!
Mon kahier, Trait marqué
Enfournez ! Le délié !
Apéritif servi Univers par Milliers Jujubes, arachides!
Molaire !… Et l’emmental !
Heu… Non! «Et le comté! »
BÉA Assez de pitreries ! Mon fils, tes fariboles
Ne te feront jamais endosser le beau rôle !
Délianthe est ici… et tu ne trouves rien
De plus intelligent, qu’aligner des « neuvains »
Ou je ne sais quels « maux » … Mais, j’entends une chouette
Hululer… Je m’enfuis !… Il faut que je m’apprête…
DÉLI Quoi? … Tu nous plantes là ?
BÉA J’ai rencard !…
CÉLEST QUE C’EST BEAU !!!
Ma douce Délianthe, allons voir cet oiseau.
Voyez dans le bassin, comme la lune change !
Et laissons-nous porter par le souffle des anges…
**********************************
ACTE III
ADRIEN, ETHER:
Dans la chambre d’ADRIEN; il est dans son lit ; il a la gueule de bois…
ETHER Adrien ! C’est matin ! Il faut te raisonner !
La cloche de dix heures achève de sonner !
ADRIEN Ouh !.. Des voix !.. Quoi ?.. Comment ?.. Ouille !.. Ma tête explose !
ETHER Adrien ! … C’est Ether… Il faut je t’expose
Le plan que j’ai conclu, hier, avec Béa…
ADRIEN Mais… Ether ?… Qui es-tu ?… Je ne te connais pas…
Ni ne te vois…
ETHER Je suis Jiminy, Ta conscience …
Eveille ton esprit, car j’ai peu de patience.
Et le temps s’accélère… Il faut finir ce soir!
ADRIEN Mais…
ETHER Ecoute en silence! Ouvre tes entonnoirs !
Hier, avec Béa, à l’heure où l’hibou chante,
Nous avons convenu qu’une action bienséante,
Serait de confirmer un rôle à Délianthe,
Et pour les yeux de qui Célestin se lamente !
Et que, dans un effort pour la moralité,
Il nous faut faire tout, pour les entricoter !
ADRIEN Mais…Délianthe et moi, nous avons une affaire …
Et je n’ai nulle envie de cesser de lui plaire!
ETHER Béa n’en saura rien ! Et son grand sacrifice
Est de s’abandonner au bonheur de son fils !
Fais donc ce que je dis ! Accepte la combine…
Et souffre que ton fils marie Délianthine !
J’enverrai Célestin pour conclure le pacte,
Quand sur ton home-trainer, ce curieux artéfact,
Tu feras, ce tantôt, tes petits exercices…
Sois aimable avec lui… Encourage ton fils ! …
Mon rôle est terminé! Je peux enfin partir!
Et dans le firmament, je vais m’évanouir. ..
***********************************
ACTE IV
ADRIEN, CÉLESTIN
Dans le salon de culture physique…
ADRIEN fait du vélo d’appartement…
CÉLEST Père ! Vous êtes là ! A la fin, je vous vois !
ADRIEN Non mon fils ! Dans ce cas il faut dire « voussoie ».
CÉLEST C’est d’accord… Je « voussoie ». Je vous « voussoie », sans doute…
Mais tout en vous voyant…
ADRIEN (excédé) En « voussoyant » !… Ecoute… !!!
CÉLEST Mais, j’ai dit « je voussoie » ! Je dis « vous » !… . Vous voyez !?
ADRIEN Erreur! C’est un usage acquis, que « voussoyer » !
CÉLEST Mais… Je suis Célestin…
ADRIEN … Je sais bien que c’est toi !
Et quand je te dis « tu », on dit que je « tutoie » !
CÉLEST Me tuer ?… Moi ?… Mais ?… Qu’ai-je dit qui vous enrage ?
ADRIEN Nous sommes vendredi ! Assez d’enfantillages !
Tu voulais me parler ? … De Quoi ?
CÉLEST Père, je crois
Que je veux épouser Délianthe, une fois…
ADRIEN Nous sommes en Berry, dans la ville de Bourges…
Tu n’as pas de raison de parler comme à Bruges !
Es-tu sûr de ton coup ?… Te dira-t-elle OUI ?
(Elle a fini par se jeter, aussi sur lui !
Sacré révélateur, cette Délianthine !
Aux ailes de mon fils, elle a mis la chitine
Et d’insecte rampant, elle fait papillon !
Mais… sa fidélité … Je n’en dirai pas long …)
CÉLEST Elle me dira OUI ! J’en ai la certitude !
Dès hier, à la nuit, j’en ai vu le prélude …
Père? Que dites-vous? Dites vous OUI, aussi?
ADRIEN Je dis OUI!… (mais c’est le cadet de mes soucis…
J’aurai donc, désormais, deux espions au derrière,
Quand je verrai ma bru :… le fiston et sa mère !)
**********************************
ACTE V
ADRIEN, BÉATRICE, CÉLESTIN, DÉLIANTHE et ETHER, à la fin.
Sur la terrasse, le soir, au sortir du dîner
BÉA J’ai aimé ce dîner !… Et cette nuit si calme
A sûrement aidé à préserver le charme
D’une entente accomplie, un bonheur retrouvé
Dont chacun d’entre nous peut enfin se gaver !
ADRIEN Pour moi, les rêveries ont un goût de délice !
Et je suis bienheureux de marier mon fils …
À notre Délianthe… et je crois qu’elle aussi
Pourra se délecter d’une issue réussie !
DÉLI Je ne saurais mieux dire et d’un côté, ou l’autre,
Je jouis de ce bonheur dans lequel je me vautre …
Et je n’espérais point un si complet tableau
Pour clore cette histoire, à la fin…
CÉLEST QUE C’EST BEAU !!!
ETHER Et, s’il fallait donner, comme un ultime hommage,
Un clin d’œil au poète Ferré, je dirais :
Les écrivains qui ont recours à leurs doigts
Pour savoir s’ils ont leur compte de pieds
Ne sont pas des poètes !
Ce sont des dactylographes !
—————
FIN
Wana – 16 juillet 2006