La musique d’ambiance
Le chérubin s’installe au jardinet. Tino pense entrevoir fugacement, sans noter de fil caché, son orange descendant du précieux oranger dont, parfois, l’épi danse au timide soleil du nord. Cependant, quelque senteur douce, émanant du sein profond, mystérieux, invisible, des fruits, tarabuste, importune, contrarie aussi amèrement, notre songeur Tino, cherchant vaines images, souvenirs vagues, quelque relief de mémoire enfouie, où sera enregistré certain verger fleuri. Non décidément, nul arbre qui aille : Tino demande : « Cette fragrance peut venir, parfois, d’une éclosion de l’obovale bourgeon, quand le temps, à Pâques, tiédit ? »
Tino se demande…
Tino se demande : « Tels nuages légers, ces bourgeons d’humidités…, est-ce altocumuli, altostrati ?… ces brumailles, nuées diaphanes, évaporées ? » Il s’inquiète, s’ouvrant même à son pater botanicus. « Chaque bouton de floraison ressuscite dans une fleur », exprime le jardinier herboriste spécialisé. « Car, dit Tino, le splendide nuage, il faudra rapidement peler, suavement aussi, toutes ses enveloppes humides, son tégument d’air et eau, au vaporeux aspect. » Le paterne, refermant bien ses yeux, débranche prestement quelque agrume mûr et dit que personne ne tenterait pareille maestria maintenant : dépecer, aussi fin, l’innocente fleur de pavot ! L’énergumène s’exproprie facilement d’à peine onzaine des tranches sur Tino. L’agricole paterne ingurgite une magistrale tranche enveloppée de l’odeur. Tino, formidable apprenti horticole, a gobé plusieurs dotations des onze tranches. Paternel crie : « Ô ! Chaque tranche reste absolument partition du Tout ! » Tino reprend : couper a même permis reproduire égales toutes tranches ! Comprenant aisément, il se tourne pour déguster, tranquille maintenant, l’émincé vaporeux. « Goût frelaté ! », réclame Tino a s’étouffer. « Voyez : une tranche fine de bon, beau nuage, avec goût de rose ! » « Oui reprend l’herboriste : oranges, nuage… ces synonymes légumineux épluchés, prennent aussitôt leur goût aléatoire. » Cependant, la répugnante limace engourdie vient alors s’ébrouer, paresseuse. Le curieux enfant l’aperçoit. Son paternel, solide végétarien, repère un roquet d’age mûr, à ses bruyants sons, aussi bruyants que : jappements, aboiements, clappement. « Quelque pluie se condensant aura vite dégouliné ici ? Des traînées de comète osent ramper ? », questionne le jardinier. « Regarde devant, simplement devant ! », répond son rejeton… « A l’age où rapetisser consacrera, presque fatalement, cinquante ans de terrible travail, défraîchir incombera à ta vieille peau ! » Tino dit : « Regarde ! Deux pointes étonnantes sont fichées là ! » Une magnifique orange engourdie glisse lentement, gluante, flasque ! Le méthodique jardinier, qui s’enracinait, a pelé l’orange visqueuse. Il présente des fleurs ciselées, à épidermes unicolores, un nuage creux à corne, l’évanescent patatras recuit.
Comme rassuré, Tino refile une tranche fleurie au C R S de garde.
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d’après le poème :
« Musique de table », d’Oskar Pastior
Wana – 29 septembre 2008
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Contrainte:
Ce texte de 432 mots recouvre 431 décimales du nombre « e », base des logarithmes népériens (avec quelques chevilles, astuces, dérapages, tout de même). Chaque mot contient le nombre de lettres donné par le chiffre de même rang. Le “zéro” est représenté par un mot de 10 lettres.
Ex.: les 12è et 13è décimales (90) correspondent à “entrevoir”(9) et “fugacement” (10=0)
e = 2,
71828 18284 59045 23536 02874 71352 66249 77572
47093 69995 95749 66967 62772 40766 30353 54759
45713 82178 52516 64274 27466 39193 20030 59921
81741 35966 29043 57290 03342 95260 59563 07381
32328 62794 34907 63233 82988 07531 95251 01901
15738 34187 93070 21540 89149 93488 41675 09244
76146 06680 82264 80016 84774 11853 74234 54424
37107 53907 77449 92069 55170 27618 38606 26133
13845 83000 75204 49338 26560 29760 67371 13200
70932 87091 27443 74704 72306 96977 20931 01416
92836 81902 55151 08657 46377 21112 5
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