En ce mois de juin, à six jours de l’été, la ronde, se forme autour d’un mot : “Fragrance(s)…” .
Je remercie Noël qui m’accueille aujourd’hui, pour un texte illustrant les effluves violents que dégage la Terre tandis qu’ici, Marie-Christine nous dit ce qu’il faut savoir de papillon, de plumes, de framboises et d’Un Parfum d’autrefois
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Un Parfum d’autrefois
Encore un matin sans saveur. Un matin de plus, celui d’un jour semblable à tous les autres. Marie ne les compte plus, c’est inutile. Au début, c’était un jeu que d’aligner les zéros, puis elle a cessé de trouver cela drôle. Les calculs, ça n’a jamais été sa tasse de thé.
En parlant de thé, elle cherche dans sa mémoire le nom de celui qui a sa préférence, mais ne se souvient que de sa saveur particulière presque musquée, celle de l’alliance de la puissance de la bergamote à la fulgurance du Chine noir. Comme l’appelait-on déjà ? Earl Grey, je crois. Peu importe son nom, ce matin elle n’en n’a pas besoin. Elle part à la chasse aux parfums de son jardin.
Le soleil est déjà haut, prêt à brûler tout sur son passage, lorsqu’elle sort sur la terrasse. Peu importe, elle ne craint plus la chaleur.
Elle imagine que les roses exhalent déjà leur fragrance sucrée. Cette année, leurs effluves sont probablement exceptionnels, au vu de la multitude d’abeilles qui les colonise dès l’aube. Elle s’approche pleine d’espoir d’en goûter enfin le fumet. Mais comme toujours, elle ne sent rien.
Dépitée elle se dirige vers la tonnelle couverte de glycines. Elles sont si belles ce matin, couvertes de grappes blanches et mauves. Leur bouquet doit être à la hauteur de leur beauté. A contre-jour, elles semblent se noyer dans l’infini du ciel, leur blancheur transparente disparaissant sous les vagues azurées. Elle imagine si fort leur arôme à mi-chemin entre celui de la violette et celui de la mûre, entre miel et guimauve, qu’elle croit presque le percevoir. Comme il serait bon d’y goûter encore une fois…
L’enfant sort dans le jardin. Elle suit le vol d’un papillon et trébuche dans le massif de rhododendrons laissant tomber sa poupée. Sa mère se précipite pour l’aider, inquiète qu’elle ne se soit blessée. L’enfant éclate de rire en voyant le papillon se poser sur le nez de sa mère. Elle le chasse d’un geste.
L’insecte volète autour des fleurs de marjolaine puis se pose dans les cheveux nattés de Marie. L’enfant le suit en sautillant, se plante devant elle, lui sourit et murmure, l’index posé sur les lèvres :
——–– Ne bouge pas, Madame, tu vas le faire partir !
Le papillon bat lentement des ailes en vol stationnaire. Marie lui tend la main pour qu’il se pose un instant sur l’ongle de son pouce. Il s’envole jusqu’au front de l’enfant qui éclate de rire et dit :
——–– Tu vois Madame, il aime ton parfum, et aussi le mien.
——–– C’est parce que tu es belle comme une fleur répond Marie. Quel est ton parfum ?
——–– Je ne sais pas, répond l’enfant en se tournant vers sa mère. Maman, c’est quoi le nom de mon parfum.
——–– Pourquoi me demandes-tu ça ? Dit la mère. Ton parfum, c’est le jasmin.
——–– Du jasmin ! Tu connais le jasmin, Madame ? Demande l’enfant à Marie.
——–– Oui, je connais très bien l’odeur du jasmin. Mon parfum aussi était celui du jasmin… répond Marie soudain nostalgique.
——–– Tu n’en n’as pas mis ce matin, dis l’enfant en s’approchant d’elle pour mieux la sentir. Tu ne sens rien, tu ne sens que l’odeur du vent.
Marie sourit devant l’insistance familière de l’enfant, mais reste silencieuse. La mère s’approche de sa fille, le regard inquiet :
——–– A qui parles-tu ma poussinette, au joli papillon ?
——–– Mais non, maman, à la belle dame qui est là, répond l’enfant en pointant son doigt vers Marie. Elle a mis le parfum du vent dans ses cheveux. J’aimerais bien avoir aussi le parfum du vent, maman. Tu me mettras le parfum du vent dans mes cheveux. Je voudrais être aussi belle qu’elle.
La mère suit le geste de l’enfant, mais ne voit rien. Elle sourit, fière que sa petite ait tant d’imagination pour son âge.
——–– J’essaierai de trouver le parfum du vent pour tes cheveux, ma puce, répond la mère. Allons, il faut rentrer goûter maintenant. Ton amie imaginaire peut venir avec nous si elle veut.
L’enfant éclate de rire et prenant la main de Marie dans la sienne, lui dit :
——–– Viens avec nous, il y a des beignets à la framboise au goûter. C’est très bon tu verras. Il faut te réchauffer, ta main est toute froide.
Marie lui sourit tendrement, dépose un baiser sur la petite main qui tient la sienne, et répond :
——–– Je ne peux vous suivre, mon enfant. Je dois rentrer chez moi, mais c’est très gentil. Remercie ta maman, et dis-lui qu’elle garde le parfum du jasmin pour tes cheveux. Il te va très bien, et les papillons le préfèrent à celui du vent. Surtout profite bien des fragrances du jardin, chaque jour que Dieu te donne. Moi, j’ai oublié comment on fait pour les sentir, et cela me manque tant…
——–– Attends, dis l’enfant, je vais te donner quelque chose pour l’emporter chez toi.
L’enfant cherche dans la poche de son tablier et en sort une plume de colombe. Elle la pose délicatement dans la main de Marie. Le vent se lève soulevant légèrement le fin duvet. Marie le rattrape, en caresse la joue de l’enfant, puis s’éloigne en serrant son présent contre son cœur.
L’enfant lui fait un signe de la main tandis que sa mère s’écrie :
——–– Tu as vu ma fille, le vent est venu te caresser la joue avec ta petite plume fétiche et il l’emporte avec lui maintenant !
L’enfant hoche la tête, pose un baiser sur la joue de sa mère et lui sourit d’un air navré. Décidément, les grandes personnes ne comprennent pas grand-chose à la vie, pense-t-elle. Inutile d’essayer de leur expliquer, il y a des choses qu’il vaut mieux garder pour soi. Elle suit des yeux la silhouette de Marie qui disparaît derrière les taupières bornant le jardin. Plus tard, elle aimerait lui ressembler, être belle comme elle et légère comme le vent.
——–– Le soleil est au zénith. Il faut rentrer maintenant, dit sa mère, tu vas prendre un coup de chaleur.
——–– J’arrive répond l’enfant, jetant un dernier coup d’œil vers la lisière du jardin où Marie a disparu.
Une colombe s’envole du grand pin dans un fouillis d’aiguilles, elle tourne un instant au-dessus de la tête de l’enfant, puis secoue ses ailes, laissant tomber un peu de duvet dans ses cheveux. L’enfant lui tend la paume de sa main, l’oiseau blanc s’y pose un court instant puis s’envole droit vers le ciel.
L’enfant éclate de rire et lui crie :
——–-Reviens oiseau, tu voles plus vite que le vent. Reviens me voir, je t’attends !
Sa mère est déjà sur le perron de la maison. L’enfant la rejoint en courant, serrant le petit duvet blanc contre son cœur, et saute dans la pénombre du corridor comme elle plongerait dans la rivière. Elle préférait le parfum du vent à l’humidité aux relents de moisi qui règne ici. Elle porte à ses narines son nouveau trésor comme si elle voulait qu’il la protège de cette odeur désagréable.
L’enfant sourit, soudain apaisée. Sa petite plume blanche exhale une fragrance de jasmin.
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Texte et photo M. Christine Grimard
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Le premier écrit chez le deuxième qui écrit chez le suivant…, etc. :
Guy écrit chez
Noël (Talipo) qui écrit chez
Dominique A. (La distance au personnage) qui écrit chez
Elisabeth (Même si) qui écrit chez
Dominique H. (Métronomiques) qui écrit chez
Giovanni ( Le portrait inconscient) qui écrit chez
Hélène (simultanées)
Jacques (jfrisch) qui écrit chez
Jean-Pierre ( Voir et le dire, mais comment ?) qui écrit chez
Franck (à l’envi) qui écrit chez
Marie-Christine (Promenades en Ailleurs) qui écrit chez
Guy (Émaux et gemmes des mots que j’aime)
et ainsi tourne la ronde…
Des propos enfantins que le monde adulte a oubliés de long temps et qui sont le fondement de nos vies, oublié peu à peu à mesure que le rationnel l’emporte sur le rêve et le jeu. Bien pensé, bravo !
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La dame en noir ne serait pas loin… On s’enivre facilement de l’enfance, revisitée ici avec pour seul guide une trace évanescente.
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Beau texte.
Dans mon enfance, il y avait des parfums très forts, la mer, la campagne, la forêt, les maisons, les fruits, les livres… ces fragrances ont disparu avec l’inquiétante hydre de la pollution.
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Un fantôme bien léger qu’on suit comme le vol hésitant d’un papillon et qui s’évapore en laissant une touffe de duvet qui virevolte.
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